La douce (Dostoïevski)

doucepinceauMikhaël Allouche
couleur
Mikhaël Allouche
d’après la nouvelle de
Fédor Dostoïevski
aux éditions de Tournon

Format : 28,4 x 22,6 cm
Nombre de pages : 48
ISBN / EAN : 978-2351003602
En librairie le 14 novembre 2007

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Résumé :

« Figurez-vous un mari dont la femme, une suicidée qui s’est jetée par la fenêtre il y a quelques heures, gît devant lui sur une table. Il est bouleversé et n’a pas encore eu le temps de rassembler ses pensées. Il marche de pièce en pièce et tente de donner un sens à ce qui vient de se produire. »

Dostoïevski lui-même définit ainsi ce conte dont la violence imprécatoire est emblématique de son oeuvre. Les interrogations et les tergiversations du mari, ancien officier congédié de l’armée, usurier hypocondriaque, viennent rythmer avec une force peu commune cet étrange récit, qui voit la révolte vaine d’une femme prise au piège d’un homme incapable de la voir comme un être humain. Au bord de la folie, le mari va raconter ce mariage tragique, leur rencontre, les trahisons, les déchirements, et dresser, petit à petit, le portrait de celle qui gît à sespieds et qu’il refuse de voir.
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Critiques :

Adaptation d’un ténor de la littérature russe du XIXème siècle. Une nouvelle peu connue, qui trouve ici une illustration moderne et fascinante.

Dès les premières planches, on entre dans un univers sombre et triste, celui d’un prêteur sur gages qui contemple le corps inanimé de son épouse. Comme dans la nouvelle originale, l’histoire commence à la fin et revient sur les premières rencontres entre cet homme solitaire et la jeune femme aux abois qui vient gager ses modestes valeurs. De fil en aiguille, le créancier en vient à demander la main de la jeune fille à ses parents, qui voient là l’occasion de la sortir de la misère. Mais jamais le couple ne connaîtra d’harmonie. Plus les mariés se connaissent, plus ils s’éloignent l’un de l’autre. Une évolution surtout pénible pour l’époux, qui voit ressurgir certains épisodes peu glorieux de sa terne existence.

Dauvillier signe une très belle adaptation, évoquant immanquablement le travail de Rabaté avec Ibicus. Le style graphique est d’ailleurs proche de cet auteur, mais également de Sfar, avec un trait épais et des couleurs chaudes qui semblent se passer de crayonné. Ce parti-pris de sensualité et d’intimisme donne une force peu commune aux scènes passionnelles qui opposent ces mariés maudits.

Une très belle façon d’entrer dans l’univers romanesque de Dostoïevski, et l’occasion de découvrir des récits plus concis que Crime et Châtiment ou L’idiot.

David Taugis – Actuabd
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E lle est morte depuis déjà quelques heures, son corps sans vie étendu sur le lit conjugal. L’homme, debout, l’air hagard, ne peut détacher son regard de celle qui fut sa femme. Comment en sont-ils arrivés là ? Il se souvient de leur première rencontre. Lui, prêteur sur gages, avait 41 ans. Elle, 16 ans, était sans le sou. Un monde les séparait, pourtant ils s’unirent… surtout pour le pire : des disputes incessantes, un rapport de force continu avec son lot d’humiliations et de trahisons. Petit à petit, les blessures morales se sont faites plus acerbes, plus profondes, jusqu’au jour où…

Après Le Portrait de Nicolas Gogol, Loïc Dauvillier récidive avec l’adaptation d’une nouvelle d’un autre géant de la littérature russe du XIXe siècle : Fedor Dostoïevski. La Douce fut écrit en 1876 et présente la particularité d’être un long monologue dans lequel un homme prend à partie son lectorat, l’interpelle, cherche à le séduire et à se justifier des actes qui ont conduit à cette terrible tragédie.

Il est présenté comme un ancien militaire, exclu de l’armée, dont la lâcheté n’a d’égale que l’amertume qui semble l’animer. Le pouvoir qu’il n’a jamais pu exercer sur les autres, faute de courage, il va l’obtenir par son métier d’usurier. Les rencontres quotidiennes avec les pauvres gens, obligés de se séparer de leurs biens les plus précieux pour tenter de subsister, lui donnent un sentiment de totale domination. Et quand il la rencontre, elle, une de ses clientes, victime comme tant d’autres de la société russe, il ne peut imaginer une seconde qu’elle puisse échapper à son contrôle. Pourtant, celle qui paraissait si fragile, si craintive, si romantique, va affronter cet homme qui la considère plus comme un objet malléable à souhait que comme une véritable épouse. C’est à ce titre que le travail de Dauvillier est particulièrement intéressant. Il parvient à montrer d’une part cette lente transformation d’une jeune fille à peine sortie de l’adolescence en une femme écorchée vive, amère, parfois cruelle, et d’autre part le combat à mort que se livrent ces deux êtres, prêts à tout pour remporter cette guerre psychologique.

Mikhaël Allouche, déjà dessinateur de L’Apparition aux éditions Carabas, parvient à dynamiser ce récit que le contenu aurait pu rendre complètement austère et hermétique. L’expressivité des visages est ainsi très réussie. Les yeux de l’homme expriment tantôt la folie, tantôt la condescendance voire l’arrogance et même l’amour, dans un de ses rares instants d’humanité. L’auteur utilise par moments un symbolisme facilitant la compréhension, par exemple quand le prêteur sur gages est illustré comme un géant aux mains démesurées face à la jeune fille qui, face à lui, semble minuscule. Il présente également quelques planches, pleine page, de toute beauté : les portraits des deux époux, magnifiques de sensibilité, sont emplis d’émotion et de compassion.

Une fois de plus, Dauvillier prouve son talent en adaptant une œuvre plutôt méconnue de Dostoïevski, un exercice difficile qui aurait pu accoucher d’une histoire terne et sans relief. Au contraire, le résultat est passionnant, émouvant. S’il fallait émettre un léger regret, ce serait sans doute l’absence de quelques pages supplémentaires qui auraient permis au lecteur de s’immiscer davantage dans la vie du couple et à l’auteur d’éviter quelques raccourcis un peu gênants. Néanmoins, il serait malvenu de faire la fine bouche : La Douce est un très bel album, réussi et accompli.

L. Gianati – BD Gest

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